L'évolution ,des frais aux mécanismes:Inversions et reconstitution de phylogénies
La comparaison de caryotypes, au demeurant semblables, d’espèces apparentées permet de révéler l’existence de variations communes de l’ordre des bandes présentées par les chromosomes, un peu comme c’est le cas pour les séquences d’acides aminés ou de nucléotides. On peut donc, ici aussi, essayer de retracer l’histoire de ces modifications et par conséquent l’histoire de leurs porteurs.
Cela a été réalisé chez les drosophiles des Iles Hawaii, qui représentent en la matière un outil exceptionnel. En effet, l’existence de chromosomes polyténiques chez ces mouches rend l’observation très aisée et la situation d’endémisme extrême dans ces îles – 12 espèces de drosophiles sur les 250 étudiées ici ne sont pas endémiques – permet de bénéficier d’une situation biogéographique tout à fait favorable.
On s’intéresse à un groupe de drosophiles caractérisées par leurs ailes « peintes », comportant 69 espèces. La formule chromosomique commune est 2n=12 et on observe les 5 plus chromosomes polyténiques. L’ordre des bandes est comparé à un étalon choisi arbitraint chez une des espèces du groupe (Carson 1970).
Pour les 69 espèces, toutes les mutations chromosomiques observées, à l’exception délétion, sont des inversions paracentriques, c’est-à-dire n’impliquant pas le centromère, i ont été fixées dans ce groupe.
Erstérilité, reflet de l’existence de barrières d’isolement reproducteur, montre qu’il y ition. L’île d’Hawaii ayant émergé il y a 700 000 ans tout au plus, cela signifie que >n s’est réalisée depuis. Or, on ne trouve pas de « sous-espèces » sur ces îles, c’est- n’y a pas de population en cours de divergence dont on sait pourtant qu’elles sont source de la spéciation anière la plus simple d’interpréter ces faits est de postuler que la spéciation se is cet exemple suite à un « effet fondateur » extrême, vraisemblablement dû à une le fécondée. Celle-ci proviendrait d’une population de fort effectif présentant un sme important, source de la diversité des fondatrices (Carson 1973). Cette propa- lit par hasard en un endroit isolé, une coulée volcanique récente par exemple (voir 1.), et donnerait naissance à une nouvelle population au pool génique extrême- par rapport à la population d’origine. L’adaptation aux nouvelles conditions de :célérant la divergence génétique, favoriserait la spéciation, e cas de D. silvestris et D. heteroneura, la situation est toutefois particulière. Ces ; sont quasiment indiscernables par l’électrophorèse de leurs protéines et porteuses des mêmes inversions chromosomiques, mais présentent une t nette différence morphologique de la tête (Lachaise 1985). Cette différence rend impossil les appariements et constitue donc une barrière prézygotique d’isolement reproducteur. Que est l’origine de cette modification « abrupte » de la forme de la tête ? On peut supposer que mécanismes qui contrôlent le développement sont impliqués .
Fusions et spéciation stasipatrique
On connaît chez certaines espèces des populations qui se caractérisent par des réarra gements chromosomiques et en particulier la fusion de certains d’entre eux. Blanc (1982) c l’exemple étudié par White (1968) de certaines sauterelles australiennes. Les travaux mené; Montpellier au sein de l’institut des Sciences de l’Évolution ont montré l’existence de tell populations chez les souris du genre Mus en Europe.
Le caryotype classique comporte 2n=40 chromosomes, acrocentriques, chez les sour On connaît plusieurs groupes de populations « robertsoniennes », c’est-à-dire comportant u ou plusieurs fusions dans leur caryotype, un peu partout en Europe. Dans ce type de remani ment, deux chromosomes acrocentriques fusionnent au niveau de leur centromère pour form un chromosome métacentrique. L’étude de la nature et de la distribution de ces fusions mont que chaque groupe, possédant ses propres fusions, a une origine séparée et donc que 1 fusions peuvent apparaître plusieurs fois au sein des populations. De plus, l’analyse électr phorétique de ces populations montre qu’elles ne forment pas un groupe homogène, ma qu’elles se rattachent génétiquement au groupe géographique auquel elles appartienne: (Britton-Davidian 1985). L’extrême similitude génétique des populations « standards » et d< populations « robertsoniennes » dans une région donnée conduit à penser que les populatioi à caryotype remanié ont une origine très récente (Britton-Davidian et al. 1989). On considèi en effet que la divergence génétique qui se met en place dans les populations isolées n’a p< eu le temps de faire son effet.
La thèse de Auffray (1988) présente un des exemples connus de ces populations chromosomes fusionnés. Dans la plaine du Pô (Italie), dans un rayon de 30 à 100 km autoi de la ville de Milan, existent des races chromosomiques de la Souris domestique caractérisée par une réduction du nombre des chromosomes par fusion robertsonienne. Huit population ont été déterminées dont le nombre de chromosomes varie entre 38 et 22. Le populations distinguées sur la carte et comportant le même nombre de chromosomes différer entre elles par la nature des chromosomes fusionnés. On peut remarquer que ces populations nombre réduit s’excluent géographiquement les unes les autres et ne cohabitent pas avec le populations « standards » à 40 chromosomes. Elles peuvent s’hybrider entre elles mais si le croisements entre les populations robertsoniennes et les populations à 40 chromosomes don nent des hybrides fertiles, les hybrides obtenus par croisement entre elles des populations chromosomes fusionnés sont en général stériles par suite de difficultés d’appariement de chromosomes homologues lors de la prophase de la division réductionnelle de la méiose Seules échappent à cette règle les populations ne différant que par une fusion (Montgellari 1985). De telles populations qui s’excluent (compétition ?) et sont en partie reproductivemen isolées posent un problème quant aux mécanismes de leur apparition. Comment concevoir di telles divergences sans phénomène apparent de fractionnement de l’habitat conduisant à de; isolais ? Comment des fusions chromosomiques peuvent-elles se répandre au sein des popu lations ? Il s’agit de plus d’un phénomène récent dans le cas des souris du genre Mus car li colonisation de l’Europe du Sud par cette espèce date du Néolithique .
Ce réarrangement pourrait se répandre dans la population en admettant que les individus donnent plus de gamètes à chromosomes remaniés que de gamètes normaux. Ces supplanteront les autres si les chromosomes fusionnés à l’état homozygote procurent itage sélectif. Mais ce modèle est basé sur de nombreuses suppositions dont certaines pu être démontrées. En effet, comme l’indique Auffray dans sa thèse, aucun avantage if des différentes fusions chromosomiques n’a été mis en évidence et les études menées eau gamétique à la méiose ont montré soit la transmission des deux formes avec la «e probabilité, soit la transmission préférentielle de celle portant les chromosomes non Bcr.és. Par contre, il semble bien, dans le cas des souris, que ces fusions touchent essen- fcarent de petites populations isolées. Les travaux menés en Italie par les chercheurs de ut des Sciences de l’Évolution de Montpellier ont montré en effet que les populations à cre réduit de chromosomes sont toutes des populations commensales de l’Homme et ce semble généralisable à l’ensemble des populations robertsoniennes connues en Europe et Bfcique du Nord (Auffray 1988). Ce fait est en accord avec le modèle de spéciation stasi- Sfne proposé par White (1968) dans la mesure où ces populations vivent dans des fermes.
Remaniements et isolement reproducteur
La comparaison systématique de caryotypes d’espèces proches révèle plus souvent qu’il n’y paraît que de tels « bricolages » des chromosomes peuvent être à l’origine de phénomènes de spéciation et permet en tout cas d’éclaircir des relations phylétiques parfois obscures. On peut citer plusieurs exemples facilement exploitables. La plupart associent d’ailleurs les résultats obtenus à l’aide de diverses méthodes, biochimiques et anatomiques.
L’origine et la parenté du Grand Panda Ailuropoda melanoleuca sont restées très longtemps discutées, entre ours (Ursidae) et raton laveur (Procyonidae). Une étude menée par O’Brien (1988) a permis de montrer que les 42 chromosomes métacentriques de cet animal étaient en fait dérivés des 74 chromosomes acrocentriques des ours par 16 fusions. Ces remaniements ont sans doute été à la base de l’établissement de barrières d’isolement reproducteur au sein de populations ancestrales. Les individus remaniés ont donné naissance à une nouvelle espèce par suite de la divergence consécutive à l’isolement et par l’occupation d’une nouvelle niche écologique. L’important est que l’on retrouve la même filiation lorsque l’on utilise des techniques aussi variées que l’hybridation de l’ADN, l’analyse électrophorétique des protéines solubles ou l’estimation de la distance immunologique (O’Brien et al. 1985).
On peut également imaginer qu’une spéciation consécutive à des remaniements chromosomiques s’est déroulée chez les Primates en raison de mécanismes de ce type lors de l’émergence de la « lignée » hominienne. C’est en tout cas ce que suggère la comparaison des caryotypes des différentes espèces de ce groupe et la reconstitution de leur généalogie à partir de l’étude de leurs chromosomes (De Grouchy 1974, Dutrillaux 1981). Ainsi, le Chimpanzé diffère de l’Homme par une fusion et neuf inversions . L’idée qui ressort de ces études est que les réarrangements chromosomiques (fusions, translocations, inversions), au
leurant fréquents dans les populations, ne sont pas directement responsables de ‘.a ciation mais sont des mécanismes d’isolement reproducteur dont la conséquence est la lise en place de processus de spéciation . Ces réarrangements ou maniements ne modifient pas l’information portée par les chromosomes mais affectent la îrtilité de leurs porteurs. Les couples homozygotes ont tendance à donner plus de Èscendants que les couples hétérozygotes. L’extension de ces constatations au groupe des rimâtes dans son ensemble permet de reconstituer des lignées évolutives pour chaque iromosome et de constater que de tels événements sont intervenus plusieurs lis dans l’histoire du groupe. En combinant les lignées établies on peut établir une généalogie énerale des Primates et montrer que certains types de remaniements sont plus fréquents dans ertains sous-ensembles, fusions pour les Lémuriens ou inversions pour les Pongidés par temple (Dutrillaux 1981).
En ce qui concerne la lignée hominienne proprement dite, il y a un moyen d’assem les données de différentes disciplines dans une perspective synthétique. En effet, le modèle « l’East Side Story » développé par Coppens (1983) établit que les fondateurs de c « lignée » ont bénéficié d’un changement de conditions écologiques lié au fonctionnement rift Est-Africain. Comment dès lors ne pas mettre en parallèle cette idée avec une situa– décrite plus haut . Des remaniements se mettent en place dans une population isolée de l’espèce ancestrale « préhommepréchimpanzéprégorille » qui colonise alors milieu nouvellement formé, plus sec, situé hors de l’aire de répartition de l’espèce origine L’isolement reproducteur et l’adaptation aux conditions écologiques locales accentuent divergence génétique et amènent à l’occupation d’une nouvelle niche écologique.
Il faut bien sûr encore un peu d’imagination pour concevoir et accepter un tel scénari mais les données recueillies dans différents domaines nous laissent penser qu’il n’est pas to‘ lement farfelu.
Pour terminer, il semble que des remaniements plus drastiques sont responsables d l’établissement de barrières d’isolement reproducteur. C’est le cas chez certains insectes où la présence de micro-organismes symbiotiques intracytoplasmiques provoque des phénomènes d’incompatibilité génomique dans l’œuf. Les embryons ne sont alors pas produits. Chez les guêpes parasites du genre Nasonia, qui possèdent des bactéries dans le cytoplasme des œufs, les croisements interspécifiques ne produisent aucun descendant. Ce fait n’est pas anecdotique car certaines espèces très proches comme N. vitripennis et N. giraulti sont très largement sympatriques, à tel point que les femelles des deux espèces pondent parfois dans les mêmes proies. Les possibilités d’hybridation existent donc bel et bien sur le terrain mais il n’y a pas d’hybridation. Le traitement au laboratoire par des antibiotiques lève cette incompatibilité. Les croisements donnent alors des hybrides viables (Breeuwer & Werren 1990). Le mécanisme cytologique qui provoque l’incompatibilité est encore mal connu mais il a pour conséquence une mauvaise condensation des chromosomes paternels à la première mitose de l’œuf fécondé. Le développement est alors irrémédiablement stoppé.
On peut imaginer l’importance de mécanismes de ce type dans les processus de spéciation. En effet, l’apparition de symbiontes chez un petit groupe d’individus au sein d’une population peut arrêter tout flux génique entre ce groupe et le reste de la population. Les mécanismes de dérive décrits précédemment peuvent alors se mettre en place. L’isolement reproducteur se réalise en sympatrie.
Ainsi, la spéciation par remaniements chromosomiques semble bien être un fait biologique incontestable. Ce processus a de plus l’avantage de ne pas faire intervenir nécessairement l’existence d’un isolement géographique préalable. Cependant la compréhension de sa mise en place pose de nombreux problèmes notamment en ce qui concerne les mécanismes cellulaires de l’apparition, de la transmission et du maintien de ces remaniements.
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