Individus,population,espèces
UN EXEMPLE DE SPÉCIATION RÉCENTE
Les souris du genre Mus comportent plusieurs espèces et sous-espèces en Europe . Elles font l’objet d’études poussées au sein de l’institut des Sciences de IfEvolution à l’Université Montpellier.
Mus musculus musculus et Mus musculus domesticus sont des souris commensales de IlSomme. Cependant, M. m. domesticus possède des populations d’extérieur dans le sud. Sous-espèces sont allopatriques mais elles s’hybrident dans une zone large de quelques feàines de km (Nance et al. 1990). Dans cette zone une analyse génétique par électrophorèse Kjntre le passage graduel d’individus génétiquement 100% domesticus à des individus 100% fmuscul. Mus spretus est une espèce d’extérieur méditerranéenne qui vit dans ! fcs garrigues et les maquis. Elle est génétiquement isolée de domesticus avec laquelle elle est ssmpatrique. Cet isolement génétique a été démontré par analyse électrophorétique. Cette «alvse a en effet révélé la présence d’allèles caractéristiques de spretus que l’on ne trouve pas • «fcez domesticus. Cependant ces deux espèces s’hybrident en captivité mais en donnant des mâles stériles. Sur le terrain, c’est l’agressivité des mâles de spretus qui maintient l’isolement. 3e plus, spretus vit en groupes familiaux territoriaux (1 mâle avec une ou deux femelles) ‘alors que domesticus vit en groupes hiérarchisés avec des densités souvent élevées. Mus macedonicus ressemble à spretus et vit en Grèce, Bulgarie et Moyen Orient. Elle est isolée aenétiquement de domesticus. Mus spicilegus vit dans les steppes d’Europe orientale où elle construit des tumulus à la fin de l’été à l’intérieur desquels plusieurs individus passent l’hiver jçres avoir accumulé des réserves.
Si ces trois dernières espèces sont connues à l’état fossile depuis quelques centaines de mlliers d’années, domesticus n’est connu que depuis le néolithique dans le bassin méditerranéen (moins de 10 000 ans) et sa progression correspond au développement de la navigatu humaine dans le bassin méditerranéen avec apparition de plus en plus récente dans 1 archives fossiles de l’est vers l’ouest (Auffray et al. 1990). Les plus anciens fossiles sont troi vés dans le Caucase et en Israël et la progression de l’espèce avec le temps s’est faite vei l’ouest selon deux trajets : un trajet méditerranéen utilisant la navigation et les défrichemen humains, c’est la colonisation par domesticus, un trajet depuis l’est à travers l’Europe oriental et centrale en suivant là aussi les défrichements, c’est la colonisation par musculus.
On peut donc proposer le modèle suivant. Il y a sans doute un million d’années, l’aire d distribution d’une espèce ancestrale de souris a été fractionnée. Ce fractionnement a donn naissance aux trois espèces méditerranéennes (spretus, macédoniens et spicilegus) qui se son ainsi séparées de populations asiatiques qui ont donné l’espèce musculus. Il s’agit donc d’ui cas de spéciation par fractionnement d’aire de répartition. Mus musculus a donné quatre sous- espèces en Asie parmi lesquelles musculus domesticus qui était localisée à l’origine au Moyen-Orient et musculus musculus que l’on rencontre au nord du Caucase et de l’Himalaya. A partir du néolithique, musculus domesticus a colonisé le bassin méditerranéen d’est en ouest, véhiculée par l’homme et ses bateaux. Elle s’est aussi répandue vers le nord en France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne de l’ouest et îles Britannique, en suivant les défrichements et le développement de l’agriculture. De son côté, musculus musculus a colonisé l’Europe depuis l’est en suivant elle aussi les défrichements humains. Les deux populations se sont alors trouvées en contact mais, la différenciation écologique et génétique étant faible, ces deux populations sont encore capables de s’hybrider. Ces deux sous-espèces sont par contre isolées et localement sympatriques des autres espèces de souris dont la niche écologique est différente. Les distances génétiques entre ces différentes espèces ou sous-espèce, confirment ce modèle.
Vers une définition opérationelle de l’espèce
La notion d’espèce est ancienne et remonte à l’aube de l’humanité. Les premiers c seurs cueilleurs ont ainsi nommé les animaux et les végétaux dont ils se nourrissaient, constate d’ailleurs que la correspondance est assez bonne, tout au moins pour celles de taille et en particulier celles qui présentent un intérêt alimentaire, entre les espèces reco par les populations humaines de diverses régions du monde et les espèces identifiées par équipes de scientifiques occidentaux qui ont visité ces mêmes régions. Ainsi, Mayr rap que les Papous de Nouvelle-Guinée ont 136 noms pour les 137 espèces d’oiseaux qu’il identifiées. Les Kalams de Nouvelle-Guinée reconnaissent 174 espèces de vertébrés là où scientifiques occidentaux en identifient 170. Les Fores, autre peuplade de Nouvelle-G mis en présence d’espèces d’oiseaux qu’ils n’avaient jamais rencontrés, les placent presque 90% des cas et sans hésitation dans le même groupe défini par les occidentaux des espèces qu’ils connaissent (voir Gould 1982, auquel sont empruntés ces exemples, d’autres cas de telles correspondances). Comme le fait remarquer Mayr, si des peuplades primitives reconnaissent les mêmes subdivisions de la nature que des scientifiques formés l’université, alors l’espèce est bien une subdivision naturelle du vivant et c’est la seule qui une signification biologique. Comment la définir ?
Chez les scientifiques, le concept typologique de l’espèce a longtemps prévalu. C celui de Platon, Aristote, Linné, pour lesquels on définit l’espèce par un type, c’est-à-dire représentant conservé en musée et soigneusement décrit. Un individu ne peut s’écarter du que par accident ou suite à une observation défectueuse. Cette définition est fixiste et ignore le polymorphisme. Les premiers scientifiques à avoir étudié l’espèce se limitaient à dresser des inventaires. C’était la grande époque où les naturalistes européens, puis américains, ramenaient de leurs voyages aux quatre coins de la planète des exempl d’espèces animales et végétales nouvelles pour la science occidentale. Ces spécimens étai décrits et classés, donnant naissance aux fameuses collections de nos muséums. Entre le et le XIX’ siècle, cet acharnement à décrire répondait à deux aspirations. Les scientifiq étaient émerveillés par la diversité et l’harmonie du vivant et nombre d’entre eux ne cevaient pas qu’une telle harmonie puisse être autre chose que l’expression directe de volonté divine. La classification et l’étude de la diversité du vivant représentaient pour des moyens d’accéder à la connaissance de Dieu. D’autres scientifiques pensaient au cont établir par la classification des lois universelles du type de celles que l’on découvrait alors physique par exemple et qui auraient permis d’expliquer cette diversité du vivant .
Cette approche typologique de l’espèce n’est cependant pas satisfaisante. D’une part individus d’une même espèce présentent des différences morphologiques sur l’étendue de 1 aire de répartition et on distingue ainsi des populations géographiques comme l’étude de Mésange bleue nous l’a montré. Ensuite, au sein d’une population, les individus présen des différences morphologiques : il y a polymorphisme. Si le dimorphisme sexuel l’existence de stades larvaires sont des problèmes assez facilement surmontés, encore Linné avait fait des canards colvert mâle et femelle deux espèces distinctes, les esp jumelles, quasi indiscernables morphologiquement, marquent bien la limite du conc typologique dans la définition de l’espèce. C’est le cas des souris Mus spretus et . musculus qui ne diffèrent que par la longueur de leur queue , des Mésan nonnette (Parus palustris) et boréale (Parus montanus) ou des Hypolaïs polyglotte (Hippo polyglotta) et ictérine (Hippolais icterina) qui sont des espèces d’oiseaux que l’on différencie bien que par le chant.
L’introduction de la notion de reproduction permet de résoudre partiellement ce blême. Deux individus appartiennent à la même espèce s’ils se reproduisent entre eux pas avec des individus d’autres espèces. Ce critère est assez ancien puisqu’on le trouve c John Ray qui écrivait en 1680 : « Une espèce ne sort jamais de la semence d’une autre espéce
¥ice-versa » et chez Cuvier qui définissait l’espèce en 1812 comme « une collection de tous i corps nés les uns des autres ou de parents communs et qui leur ressemblent autant qu’ils se
siblent entre eux ». Dans l’esprit de certains biologistes la reproduction sexuée permettait isnsmission au cours du temps de l’essence de l’espèce qui venait de la création. Le BpKept d’espèce est donc indissociable de celui de reproduction sexuée. Le brassage génétique qu’elle induit est responsable de la ressemblance entre les individus appartenant à une espèce. Quant à une population qui ne recourt qu’à la reproduction asexuée, elle ne lierait pas une espèce mais autant d’espèces qu’elle comporte de clones génétiquement nets. La définition la plus souvent citée de l’espèce intégrant le critère d’interfécondité ce cependant de l’éminent zoologiste Emst Mayr qui l’a définie en 1942 comme «un de populations naturelles actuellement ou potentiellement interfécondes et reproduc- sent isolées des autres groupes équivalents ». C’est le concept biologique de l’espèce. Certaines critiques amenèrent Mayr à supprimer le concept de potentiellement interfé- dans sa définition en 1963 et d’y ajouter la dimension jgique en 1982 (1989 pour l’édition française). Ainsi, dorénavant, «une espèce est une ~unauté reproductive de populations, reproductivement isolée d’autres communautés, qui une niche particulière dans la nature ». Cet ajout à la définition de 1942 est loin d’être car il donne tout son sens à l’isolement reproducteur. De nombreuses études suggèrent une aire géographique donnée, le nombre de niches est à peu près fixé et une niche ille donc qu’une espèce, re, la nature des espèces qui occupent chaque niche reflète le hasard des processus et de colonisation. On peut avancer comme argument le fait que l’introduction d’une étrangère en élimine une au moins parmi celles déjà en place et en priorité celle qui une niche voisine de celle de l’envahisseur. Le concept biologique est une définition ~ue de l’espèce qui peut donc être caractérisée par certaines associations de gènes (c’est de gènes). L’isolement reproducteur permet d’éviter que cette association harmonieuse indispensable à l’exploitation de la niche, et donc à la survie des individus et de endants, ne soit perturbée par des gènes issus d’autres espèces, dont le pool de gènes pté à d’autres conditions écologiques.
Notre curieusement, les ouvrages français sur l’évolution et tous les manuels reprennent la définition biologique de l’espèce de Mayr mais ils se limitent à celles IH2 ou de 1963 et aucun n’introduit la dimension écologique. Même les ouvrages qui entrent que la spéciation correspond à la conquête de nouvelles niches écologiques se frww au critère d’interfécondité dans leur définition de l’espèce. On est tenté de rapprocher du jugement que le généticien Richard Lewontin avait porté sur la France dans une accordée au journal Le Monde en 1980 et dans laquelle il déclarait : «je n’irai pas à dire que, dans ce pays, la pensée évolutionniste a des années de retard, mais enfin, il y :up à faire». Gouyon, Henry & Amould (1997) font un constat similaire dans ction de leur ouvrage lorsqu’ils stigmatisent la résistance au darwinisme de la com- é scientifique de l’hexagone.
Cette dernière définition de Mayr qui a notre préférence a aussi été critiquée, en particu- cause de la difficulté à définir la niche et la communauté reproductive. On notera que la critiquent ne sont souvent pas des biologistes des populations. Ils sont de ce fait iliers avec le concept de niche qui doit être conçu comme un espace multidimension- is cela ne signifie pas que définir une espèce est aisé. La naissance de nouvelles processus bien documenté de nos jours quand il résulte d’un isolement reproducteur comme nous l’avons montré dans les paragraphes qui précèdent, est généralement : comme lente. Lors de ce processus, des populations de la même espèce deviennent peu au cours du temps des sous-espèces puis des espèces différentes. Suivant à quel étudie le processus, on ne peut pas établir l’existence de deux espèces distinctes, à tout prix des espèces revient parfois à vouloir fixer une limite là où n’existe qu’un . Il en est de même lorsque l’on cherche à définir une espèce en paléontologie. En dehors du manque de critères utilisables lié à un matériel généralement incomplet, on peut sel demander à quel moment on passe d’une espèce à une autre au cours d’un processus évolutif. L’acquisition de l’isolement reproducteur est donc une étape fondamentale dans le processus de spéciation. Les barrières qui maintiennent cet isolement sont de diverses natures et elles peuvent être regroupées en deux ensembles. Les barrières prézygotiques empêchent la fécondation et donc la formation d’un zygote. Elles peuvent être écologiques (les espèces vivent dans des habitats différents), phénologiques (les périodes de reproduction des espèces ne sont! pas synchrones) comportementales (parades nuptiales, phéromones ou chants différents),! anatomiques (incompatibilité des organes génitaux) ou gamétiques (arrêt de croissance des tubes polliniques, mort des spermatozoïdes dans les voies génitales de la femelle, non-recon-j naissance entre les gamètes). Les barrières postzygotiques interviennent après la fécondation. Elles concernent les développements embryonnaires qui avortent et les cas où les hybrides sont stériles ou ont une fécondité ou une viabilité réduite.
Vidéo : Individus,population,espèces
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