Les limites du concept de lignée évolutive
La succession continuelle de formes proches constituant une chaîne d’espèces associées une lignée évolutive est souvent présentée comme un modèle quasi universel de renouvel- ent des faunes au cours du temps. Qu’en est-il en réalité? Ce modèle a-t-il une réelle ur explicative ? La vision d’une évolution graduelle est souvent contredite par umulation des faits évolutifs, par exemple par l’absence de formes intermédiaires pour- statistiquement probables.
Les Équidés, ou l’histoire d’un mythe
Ce groupe d’espèces actuelles et fossiles est utilisé comme exemple de lignée évolutive apparaître une direction privilégiée, ici la monodactylie. En effet, si on regarde d’un loin les différentes formes apparentées, aidés en cela par les premières représentations de semble du groupe, on constate une tendance au cours du temps à la diminution du nombre doigts, à l’accroissement de la taille corporelle et à l’augmentation de la hauteur de la cou- ’ des molaires. Ces tendances sont généralement interprétées dans le sens d’une « eure adaptation à la course chez des animaux passant de la consommation de feuilles à ce l’herbe, donc en parallèle avec une modification des milieux, de plus en plus steppi- Ce mode d’évolution orientée fut baptisé orthogenèse.
De nombreux arguments permettent d’affirmer à l’heure actuelle que cette façon de voir choses est largement erronée et présente elle-même une certaine orientation.
Dès 1951, G.G. Simpson, un des coauteurs de la théorie synthétique de l’évolution. dans son livre intitulé Horses, l’image de la lignée en un buisson touffu de genres seul un rameau a survécu, le genre Equus auquel appartiennent le cheval, l’âne et les Sur la base d’un nombre accru de pièces, il a interprété différemment l’histoire du . en montrant notamment le rôle de l’adaptation à de nouvelles conditions écologiques .’évolution de cette famille. Le passage d’une forme à une autre restait pour lui tout à fait L Cependant, à la lumière de nouvelles données de terrain, en particulier concernant la du buisson, il semble que cette vision n’est pas tout à fait complète.
Trois points principaux nous semblent devoir être discutés : l’adaptation à la course, tion de l’évolution et son gradualisme.
Monodactylie et adaptation à la course
Il est couramment admis que la monodactylie des animaux onguligrades préser. avantage adaptatif en matière de locomotion. De grands segments reposant sur le sol par petite surface amélioreraient la propulsion et permettraient d’atteindre une vitesse de c_ très élevée. Quelques observations simples montrent que cela n’est pas exclusif. En effet la savane africaine coexistent des espèces monodactyles onguligrades, les zèbres, et des ces pentadactyles digitigrades, les lions et surtout les guépards. Or les seconds se noum des premiers, en particulier grâce à une vitesse de course bien supérieure (110 km/h en p pour le guépard, 50 à 60 km/h au maximum pour le zèbre). Il vaudrait mieux parler d’équi ou de compromis adaptatif entre prédateurs et proies, dans la mesure guépard ne court pas très longtemps à grande vitesse.
Les études biomécaniques, menées sur les différentes espèces fossiles d’Eq montrent que les formes tridactyles les plus anciennes et les plus légères courraient vrai blablement comme le guépard actuel par ondulation de la colonne vertébrale et amortisse des chocs sur le sol par les coussinets situés sous les pattes (Devillers & Mahé 1980), c’ dire aussi vite que le cheval actuel. Les formes tridactyles plus récentes et plus lo présentent une autre adaptation : le choc à l’impact n’est plus amorti mais converti en éne cinétique par de puissants tendons. Là encore la vitesse atteinte devait être comparable à des formes actuelles. D’autre part, certaines espèces d’Artiodactyles (Antilopidés exemple) figurent parmi les plus rapides des herbivores, bouteurs d’herbe ou de feuille, même que leurs pattes possèdent deux doigts. Il apparaît donc que la monodactylie n’est une meilleure adaptation à la course, mais qu’elle est peut-être liée à l’augmentation de masse.
On associe souvent dans les interprétations de la lignée chevaline, la réduction du no bre de doigts au changement de régime alimentaire. Là encore, c’est simplifier énormém les données de terrain. En effet, on peut observer que la transition brouteur de feuilles br teurs d’herbe, chez les Equidés, se produit chez les espèces tridactyles et non pas lors du passage de trois doigts à un doigt. Cette transition se produit plus de 10 millions d’années avant la réduction du nombre de doigts. La liaison entre l’évolution des deux caractères semble donc difficile à établir clairement.
Pour étayer encore cette difficulté, on peut constater que pendant très longtemps coexistent dans les milieux steppiques des mono et des tridactyles. De même, antérieurement des espèces polydactyles et tridactyles ont coexisté longtemps dans des milieux steppiques comme dans des milieux buissonnants.
Il semble donc qu’aucun argument ne permet d’affirmer l’existence d’une relation causale entre nombre de doigts, régime alimentaire et milieu fréquenté.
Orientation de l’évolution
Les tendances décrites dans la famille des Équidés sont discutables à plusieurs niveaux :
– la complexification de la table d’usure des molaires et prémolaires n’est vraie durant tout l’Éocène et l’Oligocène que pour un groupe seulement d’Eohippus et de ses descendants. Pour les autres groupes, la situation est très variable, on peut même assister à des réversions, c’est-à-dire à une simplification de la table d’usure ; ce fait est apparent même dans les anciennes représentations iconographiques, mais passé sous silence ;
– l’accroissement de la hauteur des dents au Miocène et au Pliocène est important dans certains groupes, mais la plupart du temps, il est simplement corrélé à l’augmentation de la taille corporelle, un gros animal a de grosses dents ;
– l’augmentation de la taille concerne effectivement de nombreux représentants du groupe mais à l’Eocène, les formes tardives sont plus petites que les premières formes d’Eohippus (ou Hyracotherium) ; par la suite, on observe plusieurs fois des espèces petites
d’espèces plus grandes, c’est le cas de Callipus et de Nannipus, à la limite Miocène toutes deux descendantes de Archaeohippus . Les autres i du Miocène présentent généralement une fluctuation de la taille autour d’une valeur e. à l’exception d’une seule qui montre une nette tendance à l’accroissement de taille. : celle qui a survécu jusqu’à nos jours après avoir colonisé l’Europe et qui s’est éteinte ¿te en Amérique.
Oc peut proposer plusieurs interprétations à cet accroissement de taille. L’une d’entre t en lumière une réponse adaptative à une pression sélective de prédation (voir chapitre En effet, on peut considérer que cet accroissement de taille de certains genres s’est r en même temps que l’explosion des Mammifères, qui a conduit à la multiplication des i prédatrices.
; études plus locales et plus précises encore montrent l’échec auquel sont vouées les d’une orientation privilégiée de l’évolution du groupe. Mac Fadden et ses collabo- a montré (1999) que la Floride hébergeait il y a 5 millions d’années 6 espèces sym- d’équidés, 4 hipparioninés à 3 doigts et 2 équinés à 1 doigt. Tous ces animaux : des dents hypsodontes à haute couronne mais l’analyse des ô13C a montré que les se nourrissaient plutôt de plantes en C4 alors que les équinés consommaient plantes . Par ailleurs, l’analyse des micro-usures de l’émail des dents et la avec celles des espèces actuelles (girafe et bison par exemple), démontre que, : région de Floride il y a 5 millions d’années, les hipparioninés étaient majoritaire- i brouteurs d’herbe et les équinés des mangeurs de feuilles. C’est pourtant parmi ces se trouvent les ancêtres du genre Equus, exclusivement brouteur de plantes en r on le voit, il est très difficile de faire apparaître ici une quelconque loi.
Évolution des Équidés et gradualisme
minutieux des fossiles montre que les formes polydactyles, tridactyles et ; coexistent pendant de longues périodes sans réduction de la taille des segments : chez les formes les plus anciennes. En clair, les caractères fossilisés des espèces âgés pendant toute la durée de leur existence. Les anatomies varient aux points nt et c’est tout (Devillers & Mahé 1980, Gould 1993).
[ ainsi qu’au Pliocène, Pliohippus (monodactyle) et Hipparion (tridactyle) coexis- ; toute la durée du sous-système, ou époque. Ils restent inchangés pendant toute
modèle de Simpson (1951), la transition entre Mésohippus et Miohippus pen- est de nature stratigraphique et plus ou moins conventionnelle, car les deux (distinguables par les dents fossilisées et considérés de ce fait comme l’exemple ation graduelle d’une forme à une autre. C’est d’ailleurs ainsi que les représen- tdes ouvrages abordant le sujet. Depuis on a montré que ces deux genres sont en : distinguables, en particulier par une articulation de la cheville, que Ikrutalement par branchement à partir de Mésohippus, et que les deux genres ont ; au moins quatre millions d’années, sans changement notable. Cette situation : stase évolutive.
pie de stase, chez les tridactyles, la largeur relative des doigts reste pratiquement constante depuis le Miocène (Merychippus) jusqu’au Plicéne
Ces données sont tout à fait compatibles avec un modèle de spéciation saltatoire résul- Hlaotnbre de mutations. Les stades intermédiaires n’existent pas.
Les lignées évolutives : mythe ou réalité ?
Les lignées évolutives sont décrites uniquement quand elles ont échoué, jusqu’alors bien documentés ressemblent à la lignée du cheval. Chez les gro^: bien représentés à l’heure actuelle, il est absolument impossible de définir une direction de l’évolution. Il n’est qu’à considérer le groupe des Artiodactyles, nombre pair de doigts, pour s’en persuader. Chez ce groupe en effet, la sim ‘ sans doute à ce qu’elle était pour les Équidés à la fin du Miocène. On y trouve tailles très variables, depuis les petits Dik-Dik jusqu’aux imposants Buffles, pour rer que la seule famille des Bovidés.
Chez les Équidés, ce que l’on observe à l’heure actuelle c’est donc l’écbec l’extinction d’un groupe. Les figures utilisées pour illustrer l’évolution du groupe la plupart du temps les époques du Cénozoïque sans respecter une échelle linéaire, proportionnelle à leur durée . C’est caricatural pour le Pliocène et céa l’importance du rameau survivant, dont l’un des représentant est « la plus noble l’homme ». Ceci n’est peut être pas étranger à tout cela. Si on représente ce dernier respectant une échelle de temps linéaire pour toutes les époques du Tertiaire et du r l’effet de lignée s’estompe. Si on représente l’évolution du groupe avec les figurés ï ment utilisés, c’est-à-dire en négligeant l’aspect géographique et en représentant chz^ par un trait unique, comme cela a été fait pour les Ammonites par exemple , alors on observe quelque chose qui semble fréquent dans l’évolution, une sion de phases de radiation et d’extinction , un mince file;
« miraculeusement » échappé à la dernière et parvenu jusqu’à nos jours. La rep~ prend ici une importance singulière. Les tendances évolutives proviennent en partie de sentation incomplète des pièces du puzzle et du choix de l’échelle de temps dans la tation.
L’histoire de la famille semble marquée par des phénomènes de spéciation expl radiation, faisant apparaître brusquement de nombreuses espèces. C’est ce qui s’est p cours du Miocène et le nombre d’espèce est ensuite resté relativement stable (Mac Fai Hulbert 1988). Les modèles de ces auteurs nous présentent une courbe de croissance 1 que, sigmoïde, du nombre d’espèces tendant vers une saturation , sans après l’occupation de toutes les niches écologiques disponibles (voir chapitre 3). La se maintient jusqu’à la limite Miocène-Pliocène où on observe une phase d’extinction générale, à l’exception d’un rameau à l’origine du genre Equus. Des travaux récents (Cerl al. 1997) montrent que cet événement est peut-être de nature écologique. En analysai* composition en différents isotopes du carbone de l’émail des dents de différents mifères, actuels et fossiles, et en comparant les résultats avec la composition des végétaux, auteurs ont mis en évidence un important changement de la nature de la végétation il y a 6 millions d’années. D’un monde de plantes herbacées à métabolisme on est alors passé à monde à plantes herbacées du type C4-C3 suite à une diminution du taux de CO2 atmosp’ * que. La coïncidence entre ces deux événements, changement écologique et extinction, ap largement autant d’arguments que l’existence d’une loi interne d’évolution du groupe. S si l’on considère que les plantes en C4 accumulent souvent de la silice dans leurs tissus, ce favorise très certainement les individus dont les dents sont les plus résistantes où qui com sent rapidement leur usure.
Vidéo : Les limites du concept de lignée évolutive
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Les limites du concept de lignée évolutive